Le Point de vue officiel du Vatican
Texte officiel publié en français dans "L'OSSERVATORE ROMANO" du 7 juillet 1999 (Texte intégral)

A l’appel du Conseil Pontifical pour la Famille, des experts se sont réunis pour réfléchir, avec les membres du Conseil, sur la paternité dans la famille, à la lumière de la Paternité Divine. Eclairés par les apports des différentes sciences, et guidés par les expériences acquises en ce domaine, ils présentent certains des points considérés au cours de ce débat et qui leur paraissent d’importance.

Nous avons entendu le message que le Saint Père nous a délivré à l’occasion de notre rencontre sur la paternité humaine. Dans sa densité, sa profondeur théologique, et sa visée anthropologique, ce message donne son couronnement à nos débats. Il nous encourage aussi à présenter un résumé de nos réflexions.

1) L’église catholique se prépare dans la joie à célébrer ses deux mille ans d’existence, lors du grand Jubilé de l’an 2000. Avec une profonde motivation théologique, spirituelle et pastorale, le Saint Père nous a invités à consacrer cet ultime temps de préparation à une réflexion centrée sur le mystère de la paternité divine et sur tout ce qui en découle pour la famille humaine.

2) Cette année l’église catholique a donc médité et réfléchi sur le Père. Elle fait cette réflexion au moment même où, dans la société civile, la paternité est entourée de beaucoup de confusions et où le père semble dévalorisé, voir même disqualifié. Cette crise de la paternité n’est pas étrangère aux difficultés auxquelles se heurte la famille. Nous savons en effet que la famille est aujourd’hui la cible d’attaques systématiques et radicales. Les familles souffrent trop souvent de l’absence de père. Sur cette absence de fait vient se greffer un changement d’attitude vis-à-vis de la paternité. Ces deux éléments conjugués ont créé une culture ambiante alimentant de nombreuses préventions et même des attaques contre l’idée même de paternité.

3) Le père était traditionnellement considéré comme le chef, comme celui qui avait autorité, énonçait la norme, garantissait l’ordre et la sécurité. C’était celui qui protégeait, mais également qui introduisait l’enfant dans les luttes de la vie adulte. Or voici que nous assistons à la faillite du père.
Au cours des récentes décennies, s’est répandue l’idée selon laquelle l’homme et la femme seraient de simples "gagneurs de pain" et des "donneurs de soins" tout à fait interchangeables. Cette conception a surtout été popularisée à partir de l’idéologie du "gender" (*). Elle débouche sur la disqualification du père, qui est pour ainsi dire considéré comme superflu. Finalement, la paternité se voit réduite à une fonction biologique fugace : le père engendre mais son potentiel éducatif est de plus en plus évanescent.
Disons de suite que la situation des pères, ainsi présentée, s’observe avant tout dans les pays riches, dits "développés". Mais les médias s’emploient à divulguer cette figure peu flatteuse du père partout dans le monde.

4) Si l’on essaie d’analyser les composants actuels de cette crise de la paternité, on relève un certain nombre de constantes qu’il suffira d’évoquer :
Négation de la différence, pourtant évidente du point de vue physique et psychologique : la différenciation sexuelle est présentée comme sans importance.
Confusion délibérée des sexes, engendrant une crise de l’identité masculine et une inflation du maternel. Partout, le rôle de la mère et de la femme en général est majoré.
Dévalorisation et humiliation de la figure paternelle, à laquelle contribue d’ailleurs le chômage. Tendance à découper la paternité en tranches : père biologique, père affectif, père éducateur, père oedipien, père payeur, père de remplacement, etc.
Tendance à réduire la famille à l’enfant, seul élément stable alors que gravitent autour de lui différents "pères" et différentes "mères", dans une recomposition incessante, fragile et instable.
Tendance ambiguë de l’Etat à appuyer les situations monoparentales.
Dévalorisation de la fonction éducative du père, par exemple au niveau de l’éducation sexuelle de ses enfants.
Extension de cette dévalorisation à tous les secteurs de la société où cette fonction éducative paternelle est déléguée, en particulier à l’école. Renonciation de nombreux géniteurs à leur rôle de parents, ainsi que nous l’a rappelé le Saint Père "pour prendre celui de simples "amis" de leurs enfants, s’abstenant des rappels à l’ordre et des corrections, même lorsque celles-ci seraient nécessaires pour éduquer dans la vérité".

5) La dévalorisation de la fonction paternelle va de pair avec la contestation de la famille fondée sur le mariage, c’est-à-dire sur l’institutionnalisation de la différence. Cette contestation se fait au bénéfice de modèles d’associations dans lesquels se dissout précisément le rôle éducatif du père. Ce rôle est en effet basé sur l’union hétérosexuelle féconde et sur la permanence du père aux côtés de la mère. L’apparition de formes de polygamie ou de polyandrie échelonnées dans le temps n’améliore pas la situation éducative des familles. De plus, dans certains pays, l’Etat veut imposer à la société des lois légitimant les "unions de fait" et leur reconnaissant des avantages sociaux et des droits identiques à ceux des familles. "Lorsque les lois", comme nous l’a dit Jean Paul II, "qui devraient être au service de la famille, bien fondamental pour la société, se tournent contre elle, elles acquièrent une alarmante capacité destructrice".

6) Enfin, la disqualification du père, l’excessive attention portée au féminin et au maternel peut pénétrer de façon insidieuse les esprits les mieux intentionnés, et cela au sein de l’Eglise Catholique elle-même, comme on peut l’observer, par exemple, dans certains manuels ou "parcours" de catéchèse offerts aux enfants, ou lorsque se manifeste une influence de type féministe radical ou favorable à l’homosexualité.

7) La confusion des rôles, l’effondrement du pôle paternel, l’incertitude du mâle sur son identité, sur son rôle d’éducateur, l’attribution de la fonction paternelle à toute une série d’intervenants sociaux en oubliant qu’elle doit partir du géniteur et que l’enfant a besoin d’un père intégral, tout cela ne va pas sans graves conséquences, sur les pères eux mêmes, sur les familles, sur les enfants, et sur la société. Les études sociales montrent les effets négatifs de cette disparition du rôle paternel dans l’éducation des enfants. Dans la psychologie de ceux ci, l’image paternelle est floue, voire négative, objet de mépris et de rejet. Seule l’image de la mère apparaît clairement. Or c’est primordialement le père qui permet à l’enfant, et plus précisément au garçon, de se distinguer, de devenir lui-même. La théorie du "gender" (*), qui porte à son apogée la négation de la bipolarité homme-femme, porte inévitablement à des conséquences funestes, car elle dissuade les enfants d’intégrer la dimension sexuée de leur personnalité.

8) Retards scolaires, difficulté de concentration, tricherie, ou hyperactivité, difficultés de relation avec les autres affectent de façon évidente les enfants de pères absents. Ces troubles du développement psycho-intellectuel et affectif entraînent un taux croissant de délinquance, de marginalisation, d’insociabilité, et rapidement, de criminalité chez les jeunes ainsi défavorisés. La diffusion actuelle de l’homosexualité chez les garçons témoigne de ces troubles. Chez les filles, en particulier chez les adolescentes, se répand la plaie de l’avortement ainsi que l’incapacité à entrer dans une relation affective vraie. La banalisation de la cohabitation, la descente dans l’enfer de la drogue, l’extension du SIDA trouvent certaines de leurs racines dans la crise de la paternité. Les drames dont plusieurs écoles aux USA ont été récemment le théâtre, et qui ont profondément choqué l’Amérique, témoignent de façon tragique de la faillite d’un système éducatif d’où le père a été éliminé, et d’où il s’est laissé éliminer. De plus, ces enfants qui ont souffert de n’avoir pas de père dans leur éducation auront eux mêmes bien du mal à s’ouvrir au don d’eux mêmes, à fonder une famille stable, à éduquer leurs propres enfants.

9) Face à tant de difficultés, qui semblent signaler le naufrage de la paternité, face à un monde désemparé, certes, mais qui ne reconnaît pas ses erreurs, les chrétiens sont pressés de proclamer l’annonce de la paternité de Dieu et de la paternité humaine qui en quelque sorte la prolonge. En somme, la Bonne Nouvelle que nous avons à proclamer tient en peu de mots : l’homme est enfant de Dieu.

10) Nous avons perdu le sens de la paternité de Dieu et cette perte a entraîné l’érosion du sens de l’admiration et de l’adoration. Nous avons confondu paternité paternalisme, ou même despotisme. Or Jésus nous a révélé avec une profondeur inespérée le mystère de la paternité de Dieu (cf Rom Vlll). C’est Jésus qui nous a enseigné à avoir l’audace de nous adresser à Dieu en l’appelant "Notre Père". Cette invocation - Abba, Père - est un cri libérateur, qui révèle que nous ne sommes plus esclaves, mais fils adoptifs, dans et par le Fils. Dieu se fait proche de nous. Révélé en Jésus, l’Emmanuel, Dieu est Père parce qu’il donne la vie et qu’il la donne "en abondance" (Jn l 0,10), "jusqu’au bout" (Jn 13,1), intégralement, totalement, dans plénitude de sa générosité. C’est pourquoi la paternité de Dieu atteint son sommet dans l’événement de Pâques, quand le Père ressuscite son Fils bien aimé.

11) La paternité spirituelle du prêtre représente et rend présente cette paternité divine. Elle en diffracte la prodigieuse réalité surnaturelle dans la proclamation de Parole, la célébration liturgique et la distribution des grâces sacramentelles. Comme père de tous les membres de la communauté le prêtre ne peut faire acception de personne. Son cœur, à l’image du cœur de Dieu, ne peut assigner aucune limite à la générosité, ne peut s’accommoder d’aucune exclusion.

12) La même Parole qui révèle à l’homme la paternité de Dieu éclaire aussi sa propre paternité.
C’est ainsi que, dès son début, le Livre de la Genèse nous montre que la Création est essentiellement instauration de relations. Plus précisément, Dieu, communique sa vie. L’humanité, dès l’instant où elle existe, est montrée comme une réalité relationnelle, sexuée: "Homme et Femme il les créa" (Gen.1,27). C’est de cette humanité que Dieu déclare qu’elle est "très bonne" (Gen 1,31), et, plus mystérieusement encore, qu’elle est "à son image" (Gen.1,27). L’homme et la femme y sont invités à créer par délégation, à procréer, et cette invitation s’exprime en des termes riches d’une singulière densité personnelle.

13) Nous sommes bénéficiaires et dépositaires, grâce à la Bible, d’une anthropologie que l’homme, abandonné à ses seules forces, eut été totalement incapable d’imaginer. Au cœur de cette anthropologie, la relation interpersonnelle apparaît comme un accord, une harmonie entre les différences. Ces différences, nous les vivons, certes, dans la difficulté; elles sont affectées d’un certain coefficient de violence, car aucune relation n’est à l’abri du péché. Cependant, en acceptant d’entrer dans la filiation adoptive à la suite du Christ, l’humanité peut se refaire et se recréer. Elle apprend ce qui est la paternité de Dieu, de qui toute paternité tire son nom au ciel et sur la terre (Ephésiens 3,8). Elle apprend donc aussi à vivre de manière juste la paternité qu’elle a exercer à l’égard de ses propres enfants. Bref, grâce à la Révélation, nous savons que la paternité n’est source ni de tyrannie, ni de crainte, mais qu’elle est puissance créatrice et libératrice, qu’elle est dynamisme, attention, affection, miséricorde, pardon.

14) II faut réaffirmer avec assurance certaines données de l’anthropologie philosophique, concernant en particulier la bipolarité sexuelle et la complémentarité. Cette bipolarité est le prototype de toute relation interpersonnelle. Mais les chrétiens doivent plus particulièrement faire porter leur effort sur la redécouverte de l’anthropologie biblique pour y retrouver la source d’une vision de l’homme selon le coeur du Père de toute tendresse. Cet effort doit s’épanouir dans une recherche théologique en profondeur portant sur la paternité. Les chrétiens doivent retrouver le sens de l’humain selon la vérité divine, en contemplant l’effusive paternité du Dieu trinitaire, où le Père engendre le Fils et où l’esprit procède du Père et du Fils.

15) Comment valoriser cette image du père au travers de nos discours et de nos gestes ? Il est indispensable que, aiguillonnés par les défis et les épreuves du moment, les chrétiens fassent l’in- ventaire des trésors de sagesse qui sont confiés à l’église du Christ. Ainsi un soin particulier doit être apporté à une catéchèse ravivant ces connaissances de foi. Une lecture du texte biblique dans l’esprit que rappelle la Constitution Die verbum, doit y contribuer. De même doit-on veiller à ce que les grands textes du Magistère récent, consacrés à ces questions, soient effectivement reçus et médités par les chrétiens. A cet égard, Familiaris consortio, Mulieris dignitatem, la Lettre aux Familles du Pape Jean Paul II, sont des documents incontournables.

16) Cette catéchèse doit être offerte en premier lieu aux enfants. Il serait souhaitable à ce propos que des hommes participent à l’élaboration et à la mise en oeuvre de cette préparation catéchétique afin d’éviter les écueils d’une présentation unilatéralement féminine de la Révélation. Il serait également opportun de réviser le contenu de certains programmes et livres catéchétiques, influencés par l’idéologie du "gender" et de l’interchangeabilité des sexes. Cette catéchèse devrait aussi s’adresser aux jeunes adultes et aux couples. Il est souhaitable que pasteurs et théologiens organisent pour les fidèles des rencontres de formation et de partage sur le thème de la paternité.

l7) Certains moments sont spécialement propices à une transmission de ces valeurs chrétiennes. La période où un couple se prépare au mariage, celle où il prépare le baptême d’un enfant, font certainement partie de ces temps privilégiés.
De même, on doit avoir le souci de trouver les gestes qui, au sein de la. communauté ecclésiale, sont capables de signifier de manière parlante la dimension évangélique de la paternité.

18) La communauté chrétienne doit, de plus, savoir venir en aide, dans un esprit de solidarité et de vraie générosité, à toutes les familles mises en difficulté par l’absence d’un père, soit en raison d’un deuil, soit en raison d’une longue séparation due à un travail à l’étranger, soit en raison d’un abandon, que celui-ci soit temporaire ou définitif.

19) Les chrétiens sont dépositaires d’un trésor : la Parole qui leur est confiée est forte de la force même de Dieu. Nous avons un héritage, proposé d’abord à Israël, porté à son accomplissement par la Révélation du Christ, confirmé par l’esprit Saint, transmis par l’église. Puissent les parents, père et mère, aidés par leurs pasteurs, prendre à coeur leur tâche et leur devoir d’éducateurs, et ainsi refléter, "dans le foyer domestique", par "la chaleur, la proximité, le dialogue, l’exemple", l’image du Père des Cieux, "unique modèle parfait dont on doit s’inspirer ".

(*) Selon cette idéologie, les rôles de l’homme et de la femme dans la société
seraient un pur produit de l’histoire et de la culture. L’homme serait libre de
choisir l’orientation sexuelle qui lui plaît, quel que soit son sexe biologique.
Cette idéologie du "gender" a été projetée sur la scène mondiale lors de la
conférence de Pékin organisée par l’ONU en 1995.